Avec des scies, j'en ferais de la musique

La toute douce et subtile Gracianne, m'a invitée à faire ce que je voulais du questionnaire "à la Proust", qui circule en ce moment sur les blogs de cuisine. Je me demandais s'il s'agissait plutôt de coller à l'image que ceux qui me connaissent peu ou prou peuvent avoir de moi, s'il fallait que mes réponses aient un minimum de cohérence avec ce que je suis ou parais ("Oh annie, si tu étais une actrice tu serais… Josiane Balasko ! Non ! Catherine Jacob ! Non ! Dave !") ou si je pouvais me contenter de souhaits tout à fait gratuits, sans souci de cohérence avec mon moi profond, superficiel, du milieu, ma silhouette de rêve et mes yeux ronds ("Annie ? Je la verrais bien interpréter la jeunesse de Marion Cotillard. Ou peut-être celle de Liz Taylor ? Enfin… Annie peut tout jouer de toute façon… Ingrid Bergman ? Virginia Woolf ? Franck Sinatra ?").

J'ai donc décidé que j'étais morte. Qu'arrivée dans une espèce d'antichambre de je ne sais quoi, mal éclairée forcément, je faisais la queue avec tous les autres morts pour tomber sur un employé derrière hygiaphone, peu diligent mais tatillon qui, après m'avoir fait attendre un quart de siècle environ, et tout ça debout sans manger ni faire pipi, me tendrait ce formulaire en me recommandant : "c'est pour votre vie future, prenez ça comme un premier exercice d'orientation, nous passerons aux tests d'aptitudes physique et intellectuelle plus tard et recouperons les deux résultats grâce à notre logiciel de RAAO*. Répondez le plus spontanément possible, vous n'avez plus rien à perdre, uhuhuhuhuhuh…".

Me voici donc morte avec un stylo donc ça va, un papier donc c'est mieux et des choses à imaginer, ça passe le temps.

* réorientation des âmes assistée par ordinateur

Si j’étais un arbre…
J'aime les arbres au bord des rivières, qui apportent de l'ombre aux libellules et aux pêcheurs. Ceux dont on voit les racines dans le talus écorché qui se baigne. Ceux qui retiennent en leurs branches la nuit tombant sur l'onde, bref, s'interposent entre le ciel et l'eau, abritent et effraient les enfants quand la lumière faiblit, tombent foudroyés les jours d'orage, et sont emporté par le courant avant de couler. C'est quoi ces arbres ? des peupliers ? des saules ? un immense saule pleureur, chevelu, un peu baba-cool, voilà qui me plairait ! ou ! ou cet arbre à l'envers ! Oui, celui que j'ai vu au Saut Du Doubs, au-dessus de la falaise, il avait poussé tête en bas, dans le vide, indiquant de sa flèche l'entrée d'une caverne inaccessible dans la roche, où dort certainement un trésor. Voilà, je veux être ça. Enfin je veux dire, l'un ou l'autre, bien sûr, à votre gracieuse convenance.

Si j’étais un arbuste…
Un mûrier ? Oui un arbre à murs, il y pousserait des petits bouts de murs de toutes sortes, qu'on viendrait cueillir en famille pour en faire des maisons, des cabanes ou des garages, des usines aussi, et puis des bibliothèques, ce serait selon la récolte, la chance, le besoin, le goût.

Si j’étais une fleur…
Une pivoine écarlate. Oh oui, ça j'aimerais beaucoup si c'est pas trop abuser. Etre toute mouillée de pluie, ployer, embaumer, qu'en passant près de moi, tout le monde murmure : "mais qu'est-ce qui sent bon comme ça ?!" et me découvrir, au midi, ouverte, énorme, en crinoline paysanne par dessus tête, être cueillie, clic, et périr souveraine entre deux branches de lilas, dans un vase bleu.

Une plante aromatique ?
La menthe ! Sous un hamac, le hamac sous le corps d'un homme qui se serait arrêté de travailler un peu et qui lirait Neige de Maxence Fermine, le cœur rempli d'amour.

Une épice ?
Le curry. On est des malades de curry à la maison. Très gravement atteints. Je n'imagine pas être autre chose que du curry monsieur le bondieu si vous vous appelez bien comme ça et sinon pardonnez-moi depuis toute votre Haute Bienveillance. Oui, du curry dans la main de ma fille, qui apprendrait la cuisine à la sienne.

Une herbe sauvage ?
La cataria, cette herbe qui rend les chats complètement gagas. J'aimerais assez ça, je crois, que tous les chats du monde se roulent sur moi en s'étirant, perdent un peu de leur superbe en échange d'une ou deux bouffées de mon parfum.

Une plante aquatique ?
Un nymphéa, évidemment. A Giverny, évidemment bis, sous un pont de bois. Sans vouloir vous forcer.

Un fruit ?
Un abricot, mûr, sur l'arbre. Mais si y a plus de place dans cette branche, je veux bien être un melon ou une orange. Enfin, vous saisissez l'idée générale : quelque chose de très ensoleillé et juteux.

Un animal du jardin ?
Ben un écureuil. Je sais bien que ce n'est pas un animal de jardin très orthodoxe Votre Honneur, mais comme c'est celui que j'ai vu tous les jours de ma vie passés dans cette maison, vous comprendrez que j'y tienne. Si je pouvais seulement rendre un quart des sourires qu'ils m'ont donnés ! Et puis ça me changerait d'être agile, rapide, acrobate ! J'aimerais être la championne du monde des écureuils !

Une saison ?
A cheval entre la fin du printemps et le début de l'été. Je serais le Tempsé ! Je ferais le meilleur des Tempsés, je m'y engage par la présente, pour valoir ce que de droit.

Un légume ?
Oh non, s'il vous plait, j'ai pas trop envie d'être un légume, je préférerais rester morte. Mais bon… Une aubergine alors. Parce que c'est divin, une aubergine, et que ça le cache bien, c'est presque moche, en tout cas c'est sombre, ça fait peur aux enfants, ça ressemble à un poisson brillant, juste pêché, ça a de l'amertume si ça n'a pas d'attention, et la plus renversante des douceurs quand c'est bien cuisiné.

Un plat ?
J'aimerais être un plat qui fasse dire à celui qui rentre du travail ou celle qui revient de l'école et reniflent les parfums qui arrivent de la cuisine, dès l'entrée : "oh ! t'as fait de Lannie !". Une parmesane ? Des frites ? des côtelettes d'agneau à la menthe ? du pot-au-feu !! oui, j'aimerais être un pot-au-feu sur nappe blanche, avec os à moelle, et des salades autour… mmm le jus de la salade de tomates sur les morceaux de bœuf.

Un dessert ?
Un Tiramisu au fraises, sans vouloir vous commander. Ou un cake au chocolat. Je crois que je pourrais être pas mal dans le rôle.

Un bonbon ?
Oh ben un Chamallow, c'est assez évident, je ne vois même pas pourquoi vous me posez la question.

Un chocolat ?

Une confiture ?
Un mélange. Oui voilà, un mélange inventé par un vieux monsieur dont ce serait une des passions : inventer des confitures comme on fait des poèmes, sans forcément rimer.

Une cuisine ?
Puis-je me permettre de signaler, cher responsable de la réorientation des âmes, que la question est mal formulée ? On ne sait pas si vous parlez de la pièce de la maison ou du terme générique qui désigne la préparation des aliments. Du coup, je vais vous faire une réponse qui me conviendrait dans les deux cas : italienne. Pour le design ou pour les parfums, c'est selon.

Un couvert ?
Les doigts !

Une boisson alcoolisée ?
Un vin blanc sec et fruité, servi frais à l'apéro, sous les arbres. Ou si ça ne vous semble pas possible, un punch plein de fruits et de bulles. Merci d'avance.

Une boisson sans alcool ?
Rien d'autre que de l'eau. Voilà ce serait mon plus cher vœu ça, devenir de l'eau qui coule, du ciel ou des joues, le long des chemins de halage ou des cuisses nues, dans un verre en cristal ou dans les mains en coupe, sur une terre sèche, dans un jardin gras, au fond d'un puits, sur le toit d'une hutte, dans la bouche d'un mourant, sur la langue d'un enfant, pendue au plafond d'une grotte, gelée, tourbillonnante en flocons dans l'hiver, sur le cou d'un cycliste qui tente une échappée, sur le corps épuisé d'une vieille femme, autour du ventre des truites ou des dauphins, dans la coque des épaves, dans les cheveux d'une jeune noyée, dans le désert, de l'eau.

Propriétaire d’un restaurant ?
Oh ! ça aussi ce serait sympa. Ça me rattraperait de ma vie précédente où j'ai manqué de courage. Ce serait pas vraiment un restaurant. Plutôt un café qui ressemblerait à un salon. Avec des canapés et des fauteuils, surtout pas assortis, des étagères pleines de livres à disposition, un bar avec moi derrière et une cuisine ouverte. J'y ferais des brioches, des cakes, des salades de fruits, des tartes, quelques sandwichs pour les clients. Ils me diraient : "Eh annie ! demain j'emmène des potes qui te connaissent pas, tu pourrais pas préparer ton marbré et des petits pains au lait ? Il te reste de ta confiture de mangues ?" Et je serais toute contente d'attendre les amis de mes clients. Je préparerais un samovar de thé, j'aurais une cafetière qui fait beaucoup de vapeur et de bruit, des disques que j'aime, de l'opéra, France Inter quand c'est Mermet, les gens s'attarderaient. Je ne serais guère rentable mais comme vous allez me faire gagner une somme considérablement indécente au loto, c'est pas bien grave.

Sincères salutations.

Et, AU SUIVANT ! > Grand Chef Siou dit Bobocenot depuis qu'il pile le grué en cadence

Comments

[tatyval]

avec de telles réponses, Votre honneur n'a pas dû être déçu!

[Charline]

Je me suis régalée en te lisant, je te pique au passage pour accompagner mon après-midi, des impressions de saule, d'écureuil, de chamallow et de Johnny Depp ! ;)

[Tit']

Ouais, y'a pas à dire, on est bien chez toi ! La phrase est belle, amusante, touchante, sincère...

[raymonde]

oh merci d'avoir pensé aux sans-blogs;-)

Si j'étais un arbre : l'arbre qui donne la sève qu'on fait bouillir pour avoir le sirop d'érable. Surpris ?

arbuste : le lilas. Mi mai on les aura. Longue attente. Encore très odorante. Celui non cultivé. On a parfois des longues haies de lilas, autant en ville qu'à la campagne.

Une fleur : freesia. C'est la plus odorante. Été trop court ici pour la cultiver. La jacinthe vient en 2e (mi-avril)

Aromate : vanille (si ça en est). Toujours doubler la quantité de la recette.

Épice : muscade comme myriam. Parce que ma mère en mettait dans les beignets de noel. Mais le plus plus bon : manger de cette pâte crue.

Plante aqua : le lotus, rien de moins. Supposé très odorante mais jamais sentie.

Plante offerte : appelée communément oreille d'éléphant. Je crois un autre nom : sagittaire. Elle pouusse autant dans l'eau que dans la terre.

Animal de jardin : merle d'amérique. Migrateur. Il arrive dans 2 ou trois jours. Il a le ventre de la même couleur que le rouge-gorge. Mais le rouge-gorge est très rare ici alors que le merle : à profusion. J'adore son chant (cri plutôt) et il mange les vers de terre après une bonne pluie. Ses petits sont drôles aussi, plus gros que les parents et la bédaine tachetée, quelques poils hirsutes sur la tête.

Est-ce que j'ai hâte au printemps ???

[Gracianne]

Je voudrais reserver une table, s'il te plait, celle du coin a cote de la fenetre, celle avec la vue sur les pivoines et les saules de la riviere. Je viendrai un peu tard, a l'heure de 2000 ans d'histoire, ca va, c'est pas trop tard?
C'est beau les ecureuils.