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DEDICACESSEN
4 juin 2007

[A l'orée du bois noir]..........

Maman,

Je pars. Un insecte sombre entre ma peau et ma chair, tisse une toile hérissée de fils électriques ; C'est le loup qui s'est logé à mon envers, un grillon tatoué, infernale sirène. Maman, laisse-moi maintenant au vacarme du vent hisser mon grand voile rouge d'enfant échappée. Il fallait bien que ça arrive. La maison est trop petite, je touche le toit, j'y cogne ma tête. Il faut que je me mette en route et entre dans la sombre forêt.

J'ai à porter un fardeau, des cendres comme du plomb, je cheminerai. Tu me l'as appris : inoubliable et fugitif, chacun avance, son sac lourd sur le ventre, affamé et solitaire dans la grande nuit des temps, je ne peux m'entendre ni m'étendre, la douceur est une illusion, une brise qui ne pénètre pas le brouillard. Il faudra avancer toujours à la lueur déclinante des torches que chacun brandit. La lumière a forme de croix, de bateau, de pièce d'or, de coeur palpitant, de femme nue dans les mains qui se tendent devant les pas. La mienne, à quoi ressemblera-t-elle, vacillant ferme entre les arbres, quel visage au ciel ? Personne ne songe à toucher la flamme, on la suit en trébuchant, on ne sait plus l'horizon, les ténèbres sont les limites et l'espace, l'air respiré. Depuis les futaies, des hommes disent des poèmes qui me sont déjà parvenus, ont griffé ma peau, l'ont tatouée, des seins jusqu'aux chevilles. Hier j'ai cru voir le jour se lever, j'ai eu 6 ans et des dimanches à courir ; ou peut-être était-ce demain et avais-je cent ans, tant de fois la brume a tout recouvert que ma mémoire a fini par s'effilocher, aux temps répandue, au premier futur venu offerte. Cheveux d'ange, barbe à papa, si je la rassemble et la tète sur ma langue, elle fond trop vite, avalée dans le puits grouillant de mon corps.

chapeorn_rouge

J'entendrai autour de moi dans la procession, les cris des chiens, les larmes et les rires des humains qui m'entoureront, me devanceront, toi maman, ou me suivront sans me savoir. Entrevus et chéris, perdus. Des phrases inutiles éclateront l'oreille sans éclairer les ornières, des pétards de 14 juillet : "je ferais bien d'aller chez le coiffeur - je te fais des crêpes - Ne rentre pas trop tard - Fais attention - Tu vas me tuer - Je t'aime - Elle te fera verser des larmes de sang - bonne nuit fais de beaux rêves - ne le répète surtout pas - tu m'en diras des nouvelles - tu me saoules - quand je partirai - je te l'avais bien dit".

Le vacarme des combats rythmera le défilé, en repère, j'entendrai le sang couler, je suivrai son cours comme celui d'un ruisseau où l'on se désaltérera tous. La violence brillera au ciel, lune au-dessus du cortège, pénétrant chaque endolori de sa grimace blafarde. Et puis.

Demain je mettrai ma main dans la sienne, la boue à mes souliers ne collera plus, je verrai les buissons des talus, et les fleurs dans les buissons des talus, au phare de ses yeux clos, m'apparaîtront. Déjà il marche dans la sombre forêt et m'y appelle.

Maman, je pars.

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Commentaires
M
Pas besoin de donner la clef, c'est clair comme de l'eau de roche. L'eau qui sort des pierres moussues, au coeur de la forêt et qui est bue aussitôt par la terre. <br /> La terre-mère.<br /> Quand les filles grandissent.<br /> Et qu'elles n'auront jamais plus 6 ans. Elles quittent leurs 6 ans, se défont des "fais attention, ne prends pas froid, tu veux un bonbon, tu n' as rien oublié, tu vas être en retard, joyeux anniversaire, appelle-moi", comme on enlève des vêtements devenus trop petits...<br /> Que deviennent les petites filles lorsqu'elles ont traversé la forêt ?<br /> Une belle jeune femme en sort, mais les petites filles ? restent-elles au coeur des forêts profondes ? se transforment-elles en elfes ou en fées, ou simplement en souvenirs dans le coeur des mères ?<br /> <br /> Quelle résonnance.<br /> ça vibre.<br /> c'est comme si tu avais décrit ce que je suis en train de vivre en ce moment avec ma fille.<br /> <br /> bisous<br /> MC
D
Alors, j'en ai une qui est mmmmmmmal à l'aise et l'autre qui trouve mmmmmmmignon. Ça fait de la mmmmmmmarge, entre les deux. C'est plutôt rassurant en définitive. Donc… Gracianne… Le beau n'est pas forcément joli (et encore moins "mignon" ? :) ). Je ne parle pas de mon texte… je parle des insectes et des griffures. Ça peut être magnifique. Si tu relis, tu verras que l'auteur n'a pas six ans. Six ans c'était hier. C'était hier, non ? Mais je comprends ton malaise, je t'avoue que c'est fait pour, la sombre forêt appelle, il faut qu'elle fasse peur, comme dans les contes. La vie n'est pas qu'un songe.<br /> Grand Chef, mmmmmmmaintenant…. Bons souvenirs ? J'espère qu'elle en aura de meilleurs… tu veux que je te dise ce qu'elle ressentira, se relisant dans 107 ans ? elle regrettera certainement de ne plus être si exaltée, je crois. Oui, je crois ça très fort. L'exaltation, vibrer, se sentir appelée à ce point… désirée par la vie… avoir envie de se mettre en marche malgré la peur plutôt que de se poser sans cesse en soupirant… Elle enviera peut-être même cette enfant-là, passionnée et folle. Et l'enfant ? celle qui pourrait revenir et la voir, devenue sage et raisonnable… aurait-elle autant de raisons d'être envieuse, jalouse, impatiente ? <br /> C'est avant tout un texte d'amour, vous savez. Enfin… il me semble. Pas très consensuel (et je rappelle qu'il y a "sensuel", dans ce mot)… : ) mais…. Mais ça pourrait aussi bien être le message d'une mère à sa fille : "il te faudra marcher, ne plus être si exaltée, marcher dans l'obscurité, comme tout le monde. Et puis un jour, quelqu'un prendra ta main. Et tu verras le paysage autrement, lumineux tout à coup." (ça commencerait par : "ma fille"… et puis on changerait le "je" par un "tu"… vous saisissez ?). Ça pourrait être aussi, le message d'une amoureuse à son amoureux qui l'attend, qui hurle à la lune noire. ça pourrait être un tas de choses en somme, Alice dans le bois du loup, un billet d'adieu, un envol, un poème, rien du tout, du vent. <br /> Toutes les filles font ce coup-là à leur mère, toutes, la mienne n'y échappera pas et je vais en baver, et c'est le cours des choses. Il ne s'agit pas de fuguer, il s'agit de grandir, justement. D'accepter de s'enfoncer dans les futaies épaisses de la vie des grands. <br /> Bref… je m'aperçois j'aime pas trop donner les clefs de mes textes… En même temps, je ne sais pas me taire.
G
Je pense que ça lui rappellera de bons souvenirs, mais qu'elle se demandera ce qui a bien pu lui passer par la tête, qu'elle était un peu exaltée quand même, mais c'est mignon.<br /> <br /> Surtout, elle espèrera très fort que sa propre fille ne lui fasse jamais le même coup (quoique?).
G
Tu sais en fait, ce n'est peut-etre pas sombre, et je suis sure que recite a haute voix ca peut etre tres beau. Mais tu me parles d'insectes sous la peau, de griffures, et je les vois. Ma fille a six ans. Ton texte m'a mise tres mal a l'aise.
D
Dis-moi donc ce que tu en penses, toi, ce qu'elle devrait éprouver et puis je te répondrai.
DEDICACESSEN
  • Blog de cuisine et de petites histoire ; Le principe ? Tout un plat, toute une histoire... Quand l'inspiration est là, la recette est dédiée à un personnage de mes paysages réels ou rêvés : Vouivre, Hopper, San Antonio, André Breton, Maroc, Italie, enfanc
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